Comment l'entrepreneuse Heidi Theys gère-t-elle sa maladie incurable ? (Témoignage)
5 octobre 2023
Heidi Theys a reçu de sa fille le livre "Mam, raconte-moi... - un livre personnel rempli d'histoires pour toi". Habituellement, il s’agit d’un type de livre dans lequel les parents peuvent noter des anecdotes émouvantes quant à la première année de vie de leur enfant, pour ensuite y repenser avec beaucoup de plaisir et de nostalgie. Mais ce ne sont pas des temps normaux, et sa fille Anna a déjà dépassé l'âge des tout-petits - elle obtiendra son diplôme l'année prochaine. "Tant que je le peux, je note comment je vois le monde, ce qui est important pour moi, ce que je veux transmettre à Anna", déclare Heidi. Fin de l'année dernière, elle a reçu un diagnostic de cancer du pancréas incurable.
La porte d'entrée donne sur un couloir qui révèle beaucoup de l'âme de Heidi Theys, fondatrice de LQ : des photos de famille chaleureuses mettent en vedette sa fille Anna et une joie intense en émane. Le sport y figure aussi en bonne place. Le mari de Heidi est un triathlète passionné et entraîneur sportif, Heidi elle-même est toujours en mouvement : course, vélo, ski... Ce n'est pas exactement un mode de vie menant à une maladie terminale, surtout pour une cinquantenaire pleine de vie. Et pourtant. En octobre 2022, Heidi reçoit la terrible annonce : cancer du pancréas de stade quatre. La guérison est impossible, l'opération également, juste une stabilisation est à espérer dans le meilleur des cas. "Notre réaction à la nouvelle du médecin a été : 'Impossible. Tu peux vérifier à nouveau ?' et ensuite 'Qu'est-ce que nous aurions pu faire pour éviter cela ?' Rien en fait. C'est juste la faute à pas de chance."
Pourtant, ni l'entrepreneuse optimiste ni son entreprise ne sont sur le déclin : "Je continue à poursuivre mon objectif prioritaire, qui n'est pas de faire face au cancer mais de coacher les gens et de les mettre en contact les uns avec les autres pour rendre la vie plus grande et plus durable pour les générations actuelles et futures. Pourquoi devrais-je soudainement renier mon 'être' et mon 'but' ? J'ai eu une vie si belle."
Une vocation tardive
Après une carrière internationale intense pour des entreprises du Fortune 500 avec des postes dans sa ville bien-aimée de Rome (où elle possède un petit appartement et désire se rendre le plus rapidement possible afin de raconter, en personne, son histoire à ses voisins), Bristol (Royaume-Uni) et Amsterdam, l'ingénieure commerciale Heidi Theys a décidé de laisser libre cours à l'entrepreneuse en elle. "On peut appeler cela une vocation tardive, c'est vrai. En tout cas, je n'ai pas osé prendre ce risque plus tôt. Je voulais être sûre de moi et me sentir prête. Ce qui est crucial lorsqu'on fonde une entreprise, c'est la confiance mutuelle entre les actionnaires." Elle a trouvé cette connexion forte chez les cofondateurs de LQ, les professeurs de Vlerick Geert Letens et Peter De Prins, tous deux co-auteurs du best-seller en management "Six Batteries of Change". "Nous voulions mettre en pratique, chez LQ, les connaissances académiques acquises avec ce livre. Un objectif clair avec un plan d'affaires solide. En janvier 2019, il y a exactement quatre ans, nous avons créé notre entreprise."
Trois années dans la boue
Leur conseiller financier leur avait prédit "trois années dans la boue" avant de construire un avenir florissant. Que les quatre années suivantes seraient des montagnes russes émotionnelles, le business ne pouvait pas le prévoir. À l'été 2020, Peter s'est suicidé. "Une décision à l’opposé de mon état d’esprit actuel, je veux vivre. Bien sûr, nous étions profondément affectés et sa mort a entraîné une profonde introspection, mais nous étions conscients que l'objectif de LQ n'avait pas changé et que nous pouvions honorer l'héritage de Peter en continuant, bien qu’avec une équipe renforcée."
Il s'est avéré que les actionnaires de LQ devaient éviter un écueil imprévu : que faire des actions de Peter ? Heidi Theys : "Pour les payer à sa femme, nous avons dû puiser dans notre capital personnel. Pas très intelligent car que se passerait-il si un autre actionnaire mourait ? Lors de la création, nous avons accordé beaucoup d'attention à notre charte d'actionnaires et avons notamment décidé que les actions ne pouvaient pas être transférées au partenaire de l'actionnaire, mais nous n'avons jamais envisagé de les couvrir avec une assurance décès. Pourquoi le ferions-nous ? Nous étions tout de même des cinquantenaires jeunes, en bonne santé et énergiques avec un plan décennal solide !"
Défi existentiel
Deux ans plus tard, Heidi et son équipe sont confrontées à un défi existentiel similaire. Le verdict effroyable de "cancer du pancréas incurable" a retiré le deuxième capitaine d'un navire mis à l'eau assez récemment. Comment continuer ?
Heidi a consigné ses projets sur une feuille A4 soigneusement mise en page. Trois mots sont encadrés : "vie", "pourquoi ?" et "comment ?"
Vie
Heidi : "Le cancer du pancréas est rare et presque toujours détecté trop tard. Ce n'est pas comme de nombreux types de cancer, je ne peux pas guérir. Je n'ai pas la perspective de pouvoir retourner travailler dans six mois. Dans le meilleur des cas, il peut être stabilisé avec des traitements de chimiothérapie réguliers et pénibles. La plupart des patients décèdent dans l'année, la probabilité que je sois encore en vie dans cinq ans est de 1 %. Ces faits sont durs. Mais je n'ai pas le choix, je dois les accepter. J'ai décidé : je veux vivre. Ce 1 %, je vais le saisir."
Pourquoi ?
"Mon objectif de vie est le fil rouge de toute mon existence personnelle et professionnelle : je veux être là pour moi-même mais surtout pour les autres. Coacher et aider les gens à rendre la vie plus belle et durable, je n'aime rien de plus. Ici dans le café du coin, ils ne m'appellent pas 'Heidi', mais 'la coach'. Savoir comment les gens autour de moi vont vraiment, les aider à découvrir leurs talents et les mettre en contact avec d’autres, c'est vraiment quelque chose qui me tient à cœur, ce n'est pas du tout une technique de vente. Je sais pourquoi je choisis la chimiothérapie : parce que je sais ce que je veux accomplir."
"À aucun moment je n'ai pensé : je vais tout changer dans ma vie, je vais rattraper le temps perdu, je vais cocher sur ma liste des choses à faire avant de mourir... Pas davantage, je vais quitter LQ et me concentrer sur ma fille et mon mari. Parfois, on entend que les patients atteints de cancer ne vivent que de chimiothérapie, sont sans but et à la recherche perpétuelle de leur être profond. Mon objectif n'est pas de "gérer le cancer", il reste le même : que puis-je faire pour les gens autour de moi ? La façon de faire est cependant différente désormais."
Comment ?
La colonne de gauche de la page A4 se concentre sur le "comment ?". En lettres bleues élégamment écrites à la main. "Accepter et lâcher prise d'abord", peut-on lire. "C'est plus facile à dire qu'à faire", avoue Heidi. "Je n'ai jamais été malade, mon incrédulité était donc importante. Ce furent des semaines difficiles."
La coach Heidi aborde toujours tout « en fonction de mon objectif désormais prioritaire". Pour ce, elle utilise la pyramide de Maslow - un modèle mondialement connu sur cinq niveaux, où les "besoins primaires (physiques)" forment la base et « l'autoréalisation" le sommet. "Sans fondations, on ne peut rien construire, donc toute mon attention s’est portée sur mon "circle of trust", les personnes autour de moi qui me sont chères, mais aussi celles qui peuvent m'aider à résoudre des problèmes pratiques en fonction de leur expertise. Je tiens à le souligner : je veux d'abord connaître tous les faits et créer des certitudes. Selon ma vision, 10 % de votre vie sont des "faits", 90 % sont déterminés par votre état d'esprit. Mais tant que vous n'avez pas tous les faits correctement alignés, il est très difficile de construire cet état d'esprit. Vous ne pouvez pas penser beaucoup plus grand ou réaliser votre objectif de vie si vous vous inquiétez de vos besoins de base. À cet égard, la sécurité (y compris les certitudes que vous préféreriez ne pas entendre) apporte de la tranquillité ; c'est pourquoi j'ai parcouru la liste de mes personnes de confiance. Je suis allée chez mon notaire pour examiner mon contrat de mariage, les droits de succession, etc. Puis mon agent d'assurances et la sécurité sociale pour le revenu garanti, le comptable, l'équipe médicale et le professeur qui me suit, un médecin orthomoléculaire pour mon régime alimentaire... J’ai confiance en leur expertise. En haut de mon "circle of trust" se trouvent ma fille et mon mari, ma famille, l'équipe LQ, mes amis et partenaires de sport..."
Énergie négative évitable
Ces dernières semaines, beaucoup d'énergie négative a été consacrée aux tracas administratifs et aux situations kafkaïennes avec renvoi d'un service à l'autre. Le remboursement de la perruque d'Heidi par la sécurité sociale est devenu l'objet d'une conversation par e-mail de plus en plus longue. "Les soins médicaux en Belgique sont excellents mais si nous pouvions traiter ces formalités administratives de manière aussi efficace, cela ferait une énorme différence pour de nombreux patients. Je veux reprendre mon objectif de vie aussi vite que possible, sans remplir de documents. Il doit être possible de développer une plateforme permettant à toutes les parties concernées d'échanger des informations en toute sécurité. Pour l'instant, on travaille encore beaucoup en silos. Il serait également bon que le notaire, l'assureur et le comptable puissent travailler sur une plateforme de données partagée. C'est en tout cas quelque chose sur quoi je veux me pencher dans les prochains mois et que je veux soumettre à « Kom op tegen Kanker », entre autres."
Texte : Dirk Remmerie – Photos : Thomas De Boever
Source: Fednot