Adopter un adulte : une longue histoire d’amour (Témoignage)

2 novembre 2023

À 19 ans, Jessy est officiellement entrée dans la famille de Myriam. Myriam a adopté Jessy. Jessy a adopté la famille de Myriam, son nom, ses valeurs, son passé. Une histoire d’attachement, de doutes, de joies. Une histoire d’amour.

Myriam a adopté Jessy lorsqu'elle était adulte (témoignage).

Jessy est une petite fille de 3 ans quand elle débarque dans la vie de Myriam, maman solo d’un fils de 12 ans, et kiné dans l’enseignement spécialisé. 

Quelques années plus tôt, Myriam a subi coup sur coup la perte d’une toute petite fille et un divorce. « Le deuil a pris du temps. Puis j’ai décidé d’accueillir un enfant via un organisme d’accueil. » 

Myriam a fait toutes les démarches nécessaires, et obtenu l’agrément pour devenir maman d’accueil. « Puis un beau jour j’ai reçu un appel : Jessy arrivait. » 

La rencontre

« Je suis allée la voir en pouponnière. On a fait un pré-accueil de quelques mois comme cela se fait d’habitude. Je suis d’abord allée passer de petits moments avec elle, puis elle est venue un après-midi, un weekend… »

Ces mois de pré-accueil ont été difficiles. « Jessy voyait encore régulièrement ses parents biologiques. Elle était dans un conflit de loyauté : parfois, elle ne voulait pas me voir. Les choses se sont apaisées dès qu’elle est venue habiter chez nous. » 

Adopter ?

Jessy a 6 ou 7 ans et vit chez Myriam depuis trois ans quand tombe une décision de justice qui va changer beaucoup de choses dans leur vie : ses parents biologiques sont déchus de leurs droits parentaux. Jessy devient ainsi ‘adoptable’ – de même que ses deux frères biologiques, accueillis dans deux autres familles. 

« Le petit frère de Jessy a été adopté très vite » se souvient Myriam. « Mais moi, j’avais peur de l’adolescence. Je ne savais pas si j’étais capable de la guider jusqu’à l’âge adulte. J’ai préféré attendre avant de parler d’adoption. Je voulais aussi qu’elle soit pleinement d’accord : pas un accord d’enfant, mais un accord mûrement réfléchi. Cela devait être son choix autant que le mien. »

Myriam et Jessy nous livre un témoignage sur l'adoption en Belgique.

Un lien de plus en plus fort

Jessy, elle, se rappelle peu des premières années. « Les liens que j’ai commencé à tisser avec mon grand frère et ma maman, c’est pendant les voyages, les sorties, les weekends. Et l’aide au niveau de la scolarité : ils m’ont beaucoup soutenue. J’ai des difficultés de dyslexie et de dysorthographie, je n’étudie pas facilement. Si j’ai réussi à finir mes études, c’est grâce à Maman et à mon frère. »

« Les difficultés à l’école ont créé des tensions, mais nous ont aussi soudées, car nous avons pu dépasser les conflits » raconte Myriam. « J’ai fait ma crise d’adolescence comme tout le monde » reconnaît Jessy. « Mais jamais je n’ai dit ‘t’es pas ma mère’. Je claquais la porte mais c’est tout. »

Adoption plénière

« Plus Jessy grandissait, plus j’ai senti le besoin de la mettre sur un pied d’égalité avec mon fils biologique. » Peu à peu, Myriam se renseigne sur les différentes formes d’adoption et son idée se précise. « Je voulais une adoption plénière pour que Jessy fasse vraiment partie de notre famille. Pour qu’elle soit ma fille aussi aux yeux de la loi. Et pour qu’elle ait les mêmes droits que mon fils. Au niveau de la succession, et aussi du droit alimentaire par exemple : même majeur, si un jeune n’arrive pas à s’en sortir, le parent doit l’aider s’il en a les moyens. Avec une adoption simple, Jessy n’aurait rien eu de tout cela : c’était inconcevable. »

De son côté, Jessy explore elle aussi la question. « Vers 15 ans, j’ai fait pour l’école un exposé sur les différentes formes d’adoption. J’ai été voir des enfants adoptés en plénière et en simple. J’avais déjà réfléchi à tout ça, mais je n’en avais pas parlé. Quand Maman a abordé le sujet, je lui ai dit que je préférais une adoption plénière, je ne voulais plus de lien avec mes parents biologiques. Je ne voulais pas risquer d’hériter de leurs dettes. Et je voulais prendre son nom. Pour la remercier. Elle m’a éduquée, c’était logique que je m’appelle comme elle. »

Trois ans de procédure

Myriam et Jessy entament donc les démarches. « Il fallait introduire la demande d’adoption avant que Jessy ait 18 ans, sinon, cela ne pouvait être qu’une adoption simple. J’ai dû suivre une formation comme tous les parents adoptifs : c’était surréaliste, car je vivais déjà depuis longtemps avec un enfant qui n’était pas le mien ! Puis il y a eu un dossier administratif à compléter, des témoins de moralité ont dû fournir des témoignages… »

« Le dossier terminé, il a fallu passer au tribunal de la famille » poursuit Jessy. « Il fallait un rendez-vous tous ensemble pour faire l’accord d’adoption, y compris avec mes parents biologiques. Mais je ne voulais pas les voir. Alors on a fait acter mon accord par un notaire. »

Myriam : « Au tribunal, j’ai rencontré la maman biologique de Jessy ; le père ne s’est pas présenté, deux fois de suite, donc tout a pris beaucoup de temps. » Le juge a considéré l’absence du père comme un refus catégorique mais a passé outre, le petit frère biologique de Jessy ayant déjà été adopté. La procédure complète a duré 3 ans.

Myriam et Jessy nous livre un témoignage sur l'adoption en Belgique.

Mère et fille pour toujours

En avril 2017, à l’âge de 19 ans, Jessy est ainsi officiellement devenue la fille de Myriam. « Jessy faisait déjà partie de la famille. Mais ç’a été une grande joie quand ç’a été fait. » Dans le faire-part d’adoption envoyé à tous les proches, on peut lire l’immense bonheur de Myriam de devenir sa maman pour toujours et de lui donner son nom. 

Jessy : « Je me considérais déjà comme un membre de la famille. Mais tout est devenu plus simple sur le plan administratif. À l’école, quand il fallait remplir des papiers, il n’y avait jamais que des cases ‘père’ et ‘mère’. On devait toujours ajouter : ‘maman d’accueil’. Je ne me suis jamais sentie dans une famille d’accueil : pour moi, c’était déjà ma famille. Je suis contente de mon nouveau nom, et j’ai pu choisir d’autres prénoms car je n’en avais qu’un. »

Quelque chose frémit entre Jessy et Myriam à cette évocation. « J’aimais bien ‘Marie’, dit Jessy, car c’est la même racine que le prénom de Maman, Myriam. Et ma grand-mère – la maman de Myriam – s’appelle Marie-José. Elle aussi s’est énormément investie dans mon accueil. »

Myriam poursuit : « Toutes les deux, on a voulu y ajouter ‘Sylvie’. Le nom de ma petite fille décédée. Un enfant n’en remplace jamais un autre. Mais c’était important pour nous deux. » 

Aujourd’hui, Jessy a 25 ans. Elle a quitté la maison de Myriam et vit sa vie avec son compagnon. Elle a décroché un CDI après la fin de ses études d’éducatrice spécialisée et s’occupe des enfants placés par le juge. Les deux femmes restent infiniment proches. Pleines de gratitude pour la vie qui les a mises sur le chemin l’une de l’autre. Et parfois, Myriam rêve déjà de prendre soin des futurs enfants de Jessy – et Jessy de les lui confier.

Texte : Sophie Dancot  - Photo : Jan Crab

Source: Fednot